Une certaine forme de parasite est capable de se transmettre de générations en générations jusqu’à faire partie de notre histoire évolutive. Ils ne se trouvent ni dans nos cheveux ou sur notre peau mais directement codés au sein de notre ADN. Ces éléments dits « transposables » peuvent causer des maladies aussi bien que des avantages évolutifs. Leur découverte vaut bien le prix Nobel de physiologie de 1983. Voici un premier aperçu de la question.
Définitions
- Le génome
- : L’ensemble de tous nos gènes. Notre ADN est présent dans toutes les cellules de notre corps et contient l’information pour permettre la synthèse de l’ARN : molécules qui servent comme modèle pour la synthèse des protéines. Les protéines sont les molécules qui rendent toute activité cellulaire possible en assurant un grand nombre de fonctions. Ce modèle de base : ADN à ARN à Protéines est vrai pour tout le vivant donc aussi les bactéries, les archées et les virus.
- Réplication
: Processus par lequel l’ADN est recopié à l’identique. La cellule doit créer une copie de son ADN quand elle se multiplie pour que les deux cellules filles aient chacune le même ADN et donc le génome entier.
- Expression d’un gène
: ensemble des processus par lesquels l’information contenue dans un gène va être utilisée pour fabriquer les protéines en passant par la synthèse de l’ARN.
Généralités
Le génome est constitué en partie de séquences répétées un grand nombre de fois. Ces séquences varient en taille allant de 3 à des centaines d’acides nucléiques, et en nombre. Nous ne connaissons pas toujours la fonction de ces motifs ni leur origine mais la recherche s’y intéresse de plus en plus. C’est le cas entre autres des transposons dits aussi éléments transposables ou « Jumping genes » : gènes sauteurs. Ce sont des séquences d’ADN capables de s’auto-répliquer et/ou de bouger au sein du génome. C’est-à-dire qu’il va pouvoir se multiplier (passer de une à deux copies) ou encore se déplacer (il va être excisé du génome et replacé ailleurs). Et oui, une partie de l’ADN est en roue libre (ou presque…).
Dans le cas d’un transposon autonome il code pour une protéine appelée « transposase » qui est responsable de son déplacement contrairement aux non autonomes qui ne possèdent pas cette protéine. On dit autonome car il est assez indépendant. Il va par exemple profiter du moment où la cellule se multiplie et donc réplique (voir définitions) son ADN pour s’exciser et se coller ailleurs dans le génome. L’ADN est constitué de deux brins liés l’un à l’autre qui possèdent des séquences parfaitement complémentaires. Pendant son excision, le transposon peut créer un espace libre que la cellule va remplir avec le deuxième brin où la séquence complémentaire du transposon est toujours présente. Cela est possible car l’excision du transposon ne concerne qu’un seul des deux brins d’ADN. Ainsi, il peut passer de une à deux copies en allant se placer ailleurs dans le génome où, là aussi, la cellule va reboucher le trou créé avec la séquence du transposon qui vient de s’insérer. Un transposon non autonome est une version mutée qui n’a pas de transposase et doit utiliser la transposase de son parent qui va lui permettre de garder son activité. Voici à quoi il ressemble :
Représentation schématique d'un transposon autonome. On voit que la transposase est bornée de séquences répétées palincromiques (type CAYAC) et le tout est également bordé par des séquences répétées directes (type CAYCAY) (source : Robert Martienssen, Cold Spring Harbor Laboratory ).
La découverte des transposons
Après près de 20 ans à étudier les chromosomes de la plante de maïs, Barbara McClintock décrit les premiers indices d’éléments transposables à la fin des années 40. Ces premiers transposons identifiés laissent des marques très visibles comme sur la photo. Ceci a permis leur mise en lumière et leur localisation : au sein du gène de pigmentation. Vous constaterez que certains grains sont bruns ; ce sont ceux qui ont excisé le transposon très tôt dans le développement. Certains sont jaunes : ceux-là ont un élément transposable au sein du gène codant pour la pigmentation. Le gène est inactivé par le transposon et le pigment n’est pas synthétisé. Enfin, il y a les grains avec des taches brunes correspondant au groupe de cellules ayant excisé le transposon au sein du grain.


grains jaunes : transposon dans le gène de pigmentation
grains marrons : pas de transposon
marron et jaune : certaines cellules du grain n'ont plus de transposon
C’est le même mécanisme qui est à l’œuvre chez cette fleur de pétunia (source : The Petunia Lab, Radboud University).
Ce n’est que plus tard que la communauté scientifique s’intéressa de plus près à ces travaux. Ainsi, ce n’est que dans les années 60, l’avènement de la génétique, que l’on découvre des indices de transposition, c’est-à-dire de modifications soudaines, dans l’ADN de la bactérie Escherichia. coli puis quelques années plus tard chez la mouche Drosophile, modèle très utilisé dans le domaine de la génétique.
Le premier transposon qui a pu être cloné et isolé en 1983 provient toujours du maïs. Il a été isolé par PCR avec des amorces d’ADN spécifiques du gène dans lequel le transposon était inséré puis le fragment spécifique multiplié par la PCR a été inséré dans un plasmide pour être manipulé et caractérisé. Cette expérience de biologie moléculaire a entre autres été rendue possible par la grande compréhension, dans le contexte de la génétique de l’époque, du génome de maïs ainsi que les traces visibles laissées par le transposons qui indiquent dans quel gène il se loge. Il s’agit cette fois du gène “Waxy” qui contrôle le contenu en amylose du grain de maïs et donc, entre autres choses, son apparence plus ou moins translucide.
Les transposons sont présents partout
Une fois identifiés, on a également pu en trouver chez les champignons , les bactéries, les archées et plus récemment chez les virus. Il en existe également chez les animaux et donc l’humain où il constitue… 44% de notre génome !
Comment survivrons-nous à une telle charge de transposons ?
- Les éléments transposables ont évolué de façon à s’insérer dans des endroits où ils causent le moins de dégâts possibles. C’est logique : s’ils tuent leur hôte alors ils disparaissent avec lui.
- L’hôte peut inactiver les éléments transposables par des modifications de l’état d’ADN (épigénétique). L’ADN est plus compacté dans les régions qu’il ne veut pas exprimer (pas d’ARN synthétisé) dont celles riches en éléments transposables
- La plupart des éléments transposables sont « morts » comme dirait Susan Wessler c’est-à-dire qu’ils ont accumulé des mutations critiques qui les empêchent de se répliquer.
Rassurez-vous donc, seule une infime partie de ces transposons est encore active. La grande majorité ont accumulé trop de mutations (modification irréversible de la séquence d’ADN) et ne peuvent plus se déplacer ou se multiplier. Ceux encore actifs sont malheureusement suffisants pour causer des maladies comme un bon nombre de cancers ou encore la stérilité. Nous ne savons pas encore ce qui les déclenchent mais Barbara McClintock, qui partage le prix Nobel pour la découverte des transposons, sans en avoir la preuve, avait l’intuition que ces derniers pourraient s’activer suite à des stress encourus par la cellule.
Est-ce que les recherches futures lui ont donné raison ? Je l’espère car ainsi nous pourrons peut-être découvrir les mécanismes précis à l’œuvre dans ces cancers. Plusieurs études ont depuis démontré un lien entre stress induit chez différents modèles animaux et cellulaires testés et la mobilité ou multiplication des transposons. Les mécanismes précis sont encore à élucider.
Les transposons à notre avantage
Les transposons confèrent aussi des avantages car ils sont source de diversité génétique elle-même nécessaire à la survie en cas de changement du milieu ! Les réarrangements génomiques sont des étapes essentielles dans notre évolution et dans la diversité de nos populations.
D’autre part, tous nos gènes ont des séquences dites “régulatrices” en amont ou en aval qui permettent de réguler leur expression (voir définition). Ces séquences régulatrices en question vont servir d’attaches à des molécules utiles à la synthèse de l’ARN (ou inversement au bloquage de la synthèse). Cela permet d'avoir une synthèse d’ARN contrôlée dans le temps et contrôlée en quantité. Une partie de ces séquences régulatrices nous les devons à d’anciens transposons à présents inactifs. Les transposons font donc intrinsèquement partie de notre histoire évolutive pour le meilleur et pour le pire.
Les connaissances sur les séquences répétées du génome augmentent rapidement bien que nous soyons encore loin de tout comprendre. L’histoire de la recherche sur les éléments transposables illustre parfaitement pourquoi la science fondamentale et appliquée doivent fonctionner ensemble : des mécanismes fondamentaux partagés par tout le vivant peuvent se trouver être à l’œuvre chez l’homme et leur compréhension fine nous permettra de progresser en médecine.
En savoir plus
Feschotte, C., Jiang, N., & Wessler, S. R. (2002). Plant transposable elements: where genetics meets genomics. Nature Reviews Genetics, 3(5), 329-341.
Ravindran, S. (2012). Barbara McClintock and the discovery of jumping genes. Proceedings of the National Academy of Sciences, 109(50), 20198-20199.
Article paru dans Je Science donc J'écris n°25 - Février 2021