Si vous nous suivez depuis un moment, nous avions déjà abordé le sujet des trous noirs, et plus particulièrement des trous noirs supermassifs, avec l’explication de la première photo du trou noir supermassif M87* (« Le premier trou noir photographié, M87* » - N°10, Avril 2019) et les nouvelles découvertes liées au quasar ( « 1 an après M87*, de nouvelles découvertes ? » - N°20, Avril 2020). Pour rappel, un trou noir est un objet céleste, duquel rien ne peut sortir normalement. Cependant, nous allons parler d’une problématique déjà pensée depuis les années 60 : peut-on ou non extraire de l’énergie d’un trou noir ?
Quelques définitions préliminaires
Mécanique newtonienne : branche de la physique qui étudie le mouvement indépendamment de sa cause (accélération, vitesse, mouvement, trajectoire, etc…).
Statique : Etude de corps à l’équilibre, immobiles ou en mouvement selon les forces présentes.
Energie cinétique : Energie d’un corps de masse donnée lorsqu’il se déplace, c’est-à-dire lorsque sa vitesse n’est pas nulle. Elle a pour formule EC = 1/2 x m x v² avec E l’énergie en Joule, m la masse de l’objet en kilogramme et v la vitesse de déplacement en mètre par seconde.
Ergosphère : L’ergosphère est une région non sphérique mais plutôt ellipsoïde. Quand on pénètre cette région, on se retrouve entraînée par un mouvement rotatif qui va impacter l’espace-temps.
Champ gravitationnel : Champ disposé dans l’espace, lorsqu’une masse susceptible d’exercer une influence gravitationnelle sur tout corps présent à proximité, qu’elle soit immédiate ou non.
Ondes électromagnétiques : résultat de vibration couplée d’un champ électrique et d’un champ magnétique.
Ondes acoustiques : perturbation mécanique (compression - dilatation) se propageant dans un milieu matériel et diffusant les ondes sonores dans l’air.
Le processus de Penrose
En 1969, le mathématicien britannique Roger Penrose prédit la possibilité d’extraire de l’énergie d’un trou noir en rotation. D’après les lois de mécanique newtoniennes, rien ne peut sortir d’un trou noir. Ce serait donc bizarre de pouvoir en tirer de l’énergie. Néanmoins, cela est rendu possible quand une partie de l’énergie du trou noir est sous forme de cinétique de rotation (donc que c’est un trou noir en rotation), et que l’on réussit à diminuer cette énergie cinétique. Le point de départ de Penrose est le suivant : un objet est lancé vers un trou noir en rotation en suivant une trajectoire précise. Une fois arrivé dans l’ rgosphère, l’objet est brisé en deux et chacun suit une trajectoire particulière. Un des objets est absorbé par le trou noir et l’autre diminue l’énergie cinétique de ce dernier, échappe à son champ gravitationnel et en ressort avec une vitesse supérieure à celle de la particule de départ (qui était entière et pas encore divisée en 2). L’énergie totale du fragment est donc supérieure à l’énergie de l’objet initial tel qu’il était. De l’énergie a donc été extraite.
Ce processus détient quelques limites. D’après l’équation formulée par Einstein (1905) E= m x c² avec E l’énergie en Joules, m, la masse de l’objet en kilogrammes, et c, la vitesse de la lumière dans le vide, valant environ 3 x 108 mètres par seconde. Ainsi, si l’énergie cinétique de rotation du trou noir diminue, alors sa masse aussi va diminuer. L’extraction d’énergie n’est possible que sur des trous noirs en rotation avec une Ergosphère. Enfin, il existe un plafond à l’énergie que l’on peut extraire d’un trou noir de masse M donnée et pour laquelle la masse du trou noir ne peut plus diminuer.
Test de ce processus sur des ondes acoustiques
Dans les années 70, un autre physicien dénommé Yakov Zel’Dovich prédit que ce mécanisme fonctionnerait sur des ondes électromagnétiques. Très récemment, une équipe de recherche de l’Université de Glasgow a décidé de tester ce mécanisme avec des ondes acoustiques sur un disque rotatif. Ils observent l’effet de la rotation sur le signal acoustique transmis avec l’effet de la rotation avec un signal acoustique transmis avec un taux de rotation de 30 rotations par seconde. 2 microphones sont utilisés. Plus la vitesse de rotation augmente, plus le signal mesuré des 2 microphones diminue. C’est parce que les microphones répondent faiblement à de faibles fréquences acoustiques. Un gain au niveau du signal acoustique est également repéré : l’énergie sortante est plus grande que l’énergie reçue au départ. Dans la condition de rotation, le microphone 1 a de la mousse absorbante devant lui tandis que le microphone 2 non. Quand la vitesse de rotation est faible, le signal transmis par le 1 est inférieur au signal transmis par le 2, alors que si la vitesse de rotation augmente, le signal transmis par le 1 devient supérieur au signal transmis par le 2. Le son mesuré augmente avec la rotation. Ce résultat semble bien s’assimiler au processus de Penrose.
Les mêmes concepts devraient aussi pouvoir s’étendre aux ondes électromagnétiques et à l’échelle du trou noir. Les questions que l’on peut se poser sont les suivantes : à quoi pourrait servir cette énergie ? Le trou noir le plus proche de notre planète Terre est à 3 300 années lumières de cette dernière, soit à 9 500 milliards de km. Les chercheurs pourront-ils tester le processus de Penrose dans des conditions réelles ? La réponse peut-être d’ici quelques mois ou quelques années.
En savoir plus
Marion Cromb, Graham M. Gibson et al., Amplification of waves from a rotating body – Nature Physics 2020; https://doi.org/10.1038/s41567-020-0944-3
Article paru dans Je Science donc J'écris n°23 - Septembre 2020