Virus, bactéries, champignons, insectes etc... Comment le règne végétal gère ses interactions avec son environnement et fait face aux menaces? Dans quelle mesure le monde de la recherche s’en inspire aujourd’hui?

Introduction
Que ce soit en tant qu’ornement, aliment ou traitement médical, les plantes ont tout au long de l’histoire occupé une place importante dans chaque civilisation. Valeur sentimentale pour les uns, thérapeutique pour les autres, sans oublier, bien entendu, la valeur économique. Plusieurs innovations ont émergé au fil des années dans le but, entre autres, d’améliorer et sélectionner des traits et caractères d’intérêts tout en réduisant les coûts de production. De l’irrigation à la mécanisation en passant par le désormais controversé OGM (Organisme Génétiquement Modifié). Ces innovations ont permis des avancées spectaculaires en agriculture et en horticulture. Cependant, l’un des défis les plus récurrents auquel fait face le monde du végétal est la perte de 20 à 40 % des récoltes annuelles en fonction des régions du monde, et ce, en raison de divers pathogènes dévastateurs et difficiles à neutraliser. Ces pathogènes, qui ont en parallèle des innovations successives, développé des stratégies adaptatives de résistance aux méthodes antimicrobiennes, constituent l’un des sujets de recherche les plus innovants et passionnants de ces dernières années. Comme nous le savons depuis quelques années, l’utilisation massive de pesticides chimiques de synthèse entraîne de nombreux effets toxiques pour d'innombrables organismes vivants et pour l’environnement. Ceci rend d’autant plus intéressant l’étude et la valorisation des mécanismes naturels de défense des plantes.
Voyons dans un premier temps les stratégies naturellement développées par les plantes pour faire face aux pathogènes et autres phénomènes dévastateurs que leur impose constamment leur environnement. Dans un second temps, nous verrons comment différentes équipes de chercheurs se basent sur ces processus pour innover des solutions de biocontrôle au plus proche de celles naturellement présentes dans la plante, donc moins nocives sur le long terme.
Faire face quand on ne peut fuir : l’ingéniosité des plantes !
Vous êtes-vous déjà demandé si les plantes ressentent les dangers ? Comment y réagissent-elles? Communiquent-elles entre elles ? Ont-elles la notion du temps ? Comment savent-elles qu’il est temps de secréter du nectar ?
Si nous pouvons nous accorder sur une notion, c’est que dans le contexte des interactions organisme-environnement, le règne végétal à l’inverse du règne animal est soumis à la contrainte de l’espace. Nous avons en effet rarement vu des plantes prendre leurs jambes à leur cou pour se mettre à l’abri d’une menace quelconque, allant d’un point A à un point B, à la recherche de conditions plus clémentes et d’un environnement plus favorable. Hormis quelques exceptions, sur lesquelles nous ne nous attarderons pas dans cet article, comme les organismes végétaux microscopiques ou phytoplanctons qui se déplacent au gré des courants marins, les végétaux terrestres doivent faire face aux contraintes de leur milieu. Voyons quelques mécanismes plus surprenants les uns que les autres, mis au point pour faire face aux changements perçus dans leur milieu.
Quels sont les défis ?
Une simple excursion en nature, nous permet de nous rendre compte de la palette impressionnante de prédateurs auxquels peut faire face une plante. Citons pour commencer quelques espèces herbivores : éléphants, girafes, vaches, chèvres, moutons… Ces espèces sont friandes des parties aériennes des plantes comme les feuilles et tiges, et s’en nourrissent souvent exclusivement. Revenons sur les feuilles, qui jouent le rôle clé du siège de la photosynthèse, de la respiration et de la transpiration. Elles peuvent être comparées aux poumons des plantes pour ainsi dire, donc indispensables à leur bon développement. D’autres prédateurs plus communs, petit clin d’œil aux humains, constituent également un risque au bien-être de certaines plantes, de par leur activité.

Figure 1- Représentation schématique de quelques pathogènes microscopiques des plantes : virus,bactéries et champignons.
Parlons maintenant des insectes, incontournables vecteurs de maladies, qui dévorent aussi bien les fruits, les feuilles que les tiges ou les racines. Ils se nourrissent des cellules végétales et aspirent leur contenu. Parmi les plus connus, nous retrouvons les pucerons, les thrips, les chenilles, les criquets, certains coléoptères et leurs larves. Il ne faut tout de même pas oublier les prédateurs microscopiques qui ciblent tout autant les parties aériennes que racinaires des plantes : champignons, oomycètes, bactéries ou encore virus sont autant de microorganismes potentiellement nuisibles pour les plantes. Décidément, les virus donnent du fil à retordre à tout le monde. Notons que les symptômes de ces microorganismes vont de la chlorose (perte de chlorophylle) à la nécrose en passant par des tumeurs. Ralstonia solanacearum par exemple, est une bactérie à Gram-négative (définition dans les sources). Elle est pathogène de plusieurs espèces végétales d’intérêt agronomiques telles que : la pomme de terre, la tomate, le bananier, le tabac, le gingembre, l’olivier et bien d’autres. Elle induit des symptômes différents en fonction de l’hôte comme nous le montre la figure 2.

Figure 2- Symptômes de l'infection de Ralstonia solanacearum chez tomate, banane et pomme de terre. Nous observons en premier un flétrissement au niveau des feuilles avec apparition de secteurs chlorotiques. Ensuite, une nécrose du système vasculaire. Et enfin une pourriture des fruits et tubercules.
Notons néanmoins qu’il ne s’agit là que de facteurs de stress biotique (de l’ordre du vivant). Il existe aussi des facteurs de stress abiotiques qui peuvent parallèlement passer d’un extrême à un autre dans un laps de temps restreint : gèle, inondation, sécheresse ou variation de température. Face à tous ces défis, les armes de défense des plantes, pour ainsi dire, peuvent se répartir en deux grandes catégories, la lutte physique et la lutte chimique.
Un équilibre entre lutte physique et chimique
La paroi des cellules végétales constitue une barrière physique à de nombreuses intrusions. Citons également les troncs de certaines espèces, constitués de lignine hautement imperméables aux pathogènes, les épines et les trichomes chez certaines espèces.
Beaucoup de dérivés de plantes que nous utilisons quotidiennement sont à l’origine des substances chimiques synthétisées pour neutraliser un certain nombre de prédateurs. Parmi eux : la capsaïcine du piment, la nicotine du tabac, le menthol de la menthe poivrée, ou le cumin issu de la plante du même nom. Il arrive cependant que des pathogènes franchissent toutes ces barrières. Que se passe-t-il alors ?
Le cas de l’apoptose
Il existe une solution bien radicale aux infections pathogènes : l’apoptose ou mort cellulaire programmée. Elle consiste à déclencher la mort ou autodestruction d’une cellule infectée de manière à contenir l’infection pour qu’elle ne soit pas propagée aux cellules voisines. Cependant, l’apoptose étant très coûteuse du point de vue énergétique, elle n’est préconisée que dans de très rares cas. La plupart du temps les cellules de la paroi végétale enverrons une cascade de signalisation dans le but de neutraliser l’intrus sans nuire au soi.
Des cellules autonomes immuno-compétentes
Contrairement aux humains, les plantes ne possèdent pas de système immunitaire composé d’une panoplie de cellules spécialisées. Chaque cellule est individuellement équipée d’un système de défense composé de récepteurs et protéines spécialisées dans différents aspects de la riposte aux intrusions pathogènes tout en communiquant avec ses voisines pour faire front.
La détection du pathogène au niveau cellulaire
Prenons un système d’interaction plante-pathogène pour illustrer cette première couche de l’immunité. Il s’agit de la plante modèle Arabidopsis thaliana et du pathogène Pseudomonas syringae. Cette dernière est une bactérie pathogène à Gram-négatif en forme de bâtonnet équipée d’une flagelle et ayant une bonne résistance aux antibiotiques. Son point d’entrée sera généralement les stomates. Il s’agit de cellules spécialisées fonctionnant par paire et constituant un premier obstacle à l'entrée du pathogène au niveau des feuilles. Nous pouvons comparer le système feuille-stomates au système peau-pores si nous voulons pousser la comparaison avec l’humain. Les stomates sont en effet capables de s’ouvrir et se refermer à la perception du pathogène.

Figure 3- Image de microscopie électronique à balayage de feuilles montrant des bactéries à l'entrée des stomates.
Cette perception se fait par le biais de la flagelle. C’est est un prolongement cytoplasmique assurant la motilité de la bactérie et possédant à sa surface une protéine appelée flagelline qui contient le peptide flg22 reconnu par les récepteurs de surface des cellules d’Arabidopsis thaliana.

Figure 4- Perception du pathogène par les récepteurs de surface de la cellule végétale par l'intermédiaire du PAMP (Pathogen Associated Molecular Pattern) flagelline. Cascade de signalisation induite. Symptôme de chlorose d'une infection non neutralisée.
La flagelline fait partie de la famille des PAMPs (Pathogen Associated Molecular Pattern). Les PAMPS sont un ensemble de motifs moléculaires reconnus comme étant pathogènes par les cellules végétales. Ils sont détectés par les PRRs (Pattern Recognition Receptor). Ces derniers déclenchent la PTI (Pattern Triggered Immunity) ou immunité activée par des motifs. C’est en d’autre termes une cascade de signalisation envoyée par les récepteurs de la surface cellulaire aux organites cellulaires et qui constitue la première ligne de défense au contact d’un pathogène.
D’une pierre deux coups
Une fois le pathogène détecté par les protéines de la membrane externe et les stomates refermées, la bactérie contre-attaque grâce à son système de sécrétion pour envoyer des effecteurs ayant pour mission de neutraliser les défenses internes de la plante et inhiber la cascade de signalisation dans la cellule végétale. Le système de sécrétion de Pseudomonas syringae est un sorte de seringue, comme on peut le déduire du nom d’espèce syringae, capable d’injecter des protéines au plus profond de la cellule végétale. Ces protéines injectées qu’on appelle effecteurs seront à leur tour détectées par la deuxième ligne de défense de la plante : les NLRs (NOD-like receptors) et activeront l’ETI (Effector Triggered Immunity), au cas où la PTI seule ne parviendrait pas à arriver au bout de l’intrusion. S’en suivra alors l’expression de gènes de défense ayant pour but de dégrader les protéines bactériennes et la sécrétion de substance chimiques toxiques pour la bactérie dont quelques-unes que nous avons évoquées plus haut.
Où en sommes-nous dans la mise à profit du système de défense naturel des plantes ?
Aujourd’hui, plusieurs équipes de recherche travaillent à trouver les conditions optimales pour un bon fonctionnement du système de défense des plantes et “hacker“, si on peut le formuler ainsi ces mécanismes de défense naturelle. Un exemple notable est l’utilisation de phages, prédateurs naturels de bactéries, pour venir à bout de Ralstonia solanacearum, comme le démontre cet article de recherche scientifique publié en 2019 par un groupe de chercheurs Anglais et Chinois.
Un autre exemple est l’étude du fonctionnement des photorécepteurs et thermo-senseurs de diverses espèces de plantes, ainsi que l’étude de la régulation de leurs seuil de tolérance dans le but de trouver des espèces et écotypes résilientes aux conséquences du réchauffement climatique telle que les températures extrêmes qui impactent le développement, la fertilité et fragilisent l’immunité des plantes
Delase Amesefe
En savoir plus
- Cheng, Yu Ti, Li Zhang, and Sheng Yang He. "Plant-microbe interactions facing environmental challenge." Cell host & microbe 26.2 (2019): 183-192. https://doi.org/10.1016/j.chom.2019.07.009.
- Deleris, A., Halter, T., & Navarro, L. (2016). DNA Methylation and Demethylation in Plant Immunity. Annual review of phytopathology, 54, 579–603. https://doi.org/10.1146/annurev-phyto-080615-100308.
- Hayes, Scott, et al. "Hot Topic: Thermosensing in Plants." Plant, Cell & Environment (2020). https://doi.org/10.1111/pce.13979
- Valentin Hammoudi - The amazing ways plants defend themselves - TED-Ed. https://ed.ted.com/lessons/the-amazing-ways-plants-defend-themselves-valentin-hammoudi.
Wang, X., Wei, Z., Yang, K. et al. Phage combination therapies for bacterial wilt disease in tomato. Nat Biotechnol 37, 1513–1520 (2019). https://doi.org/10.1038/s41587-019-0328-3.
- Bacteria classification: https://kids.kiddle.co/Gram-negative
Article paru dans Je Science donc J'écris n°26 - Mars 2021