La Loi de Programmation de la Recherche (LPR), présentée en février 2019 et adoptée en novembre 2020, promet de changer le paysage académique français. Un nouveau budget prévisionnel et une restructuration du fonctionnement de la recherche sont prévues. La LPR fait polémique depuis ses débuts, rejetée par une majorité des personnels de la recherche et plus récemment par les étudiants. En effet, le 29 octobre a été ajouté l’amendement du « délit d’entrave » qui punit pénalement les mobilisations étudiantes. S’il est nécessaire d’augmenter le budget alloué à la recherche en France, la LPR n’est pas la solution selon nous, association JS². Retour sur les principales mesures de la programmation de la recherche, les retards qu’elle ambitionne de combler et les oppositions émises par les personnels de la recherche.
-« Il n'y a pas un seul membre de la communauté universitaire qui ne soit touché par les futures dispositions de cette loi » discours à l' Université d'été de la C.P.U Frédérique Vidal (Ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation)
La loi de programmation de la recherche (historiquement loi de programmation pluriannuelle de la recherche) est une loi française qui régit l’organisation de la recherche publique et son financement pour plusieurs années, la nouvelle loi couvrant les années 2021 à 2030. Bien avant son adoption définitive le 20 novembre 2020 par le Sénat, les termes de la loi sont décriés par la communauté universitaire qui appréhende des annonces trompe-l'œil et une précarisation accentuée des personnels de la recherche. La procédure législative accélérée entre deux confinements et l’ajout d’un amendement sur le délit d’entrave ont participé à la controverse de cette loi.
Les carrières universitaires souffrent de nombreuses tares, qui nuisent à la qualité des conditions du travail de recherche. Tout d’abord le début de carrière (quand elle est possible) est précaire, avec une moyenne d’âge pour être titularisé dans la recherche et l’enseignement de 34 à 35 ans (moyenne d’âge variable entre les disciplines). Ensuite, les chercheurs croulent sous les tâches administratives liées aux recherches… de financement. Ces appels à projets chronophages, par exemple de l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) éloignent les chercheurs et chercheuses de leur véritable métier. De plus, l’ANR ne finance que 16 % des projets qui y candidatent (chiffres de 2019).
De nombreuses attentes sont donc portées sur cette loi qui promet une revalorisation des métiers de la recherche, mais les mesures annoncées par le ministère déçoivent.
La loi prévoit d’abonder les organismes de recherche de 25 milliards d’euros sur 10 ans, dont l’essentiel serait versé après 2022. Avec le reversement de cette somme conséquente, le gouvernement poursuit l’ambition de l’Union Européenne de porter l’effort national à la recherche à hauteur de 3% du PIB. Cela date déjà de l’an 2000 et de la stratégie de Lisbonne dont les objectifs n’ont pas été atteints puisque cet effort s’élève aujourd’hui autour de 2%. L’Europe voulait alors “Préparer la transition vers une économie compétitive, dynamique et fondée sur la connaissance”. L’investissement vise à rattraper le retard et le manque presque total de valorisation de la recherche, notamment en comparaison avec d’autres pays européens, au Japon, aux Etats-Unis... La “diffusion de la recherche à la société” figure explicitement dans les objectifs de la loi, aux côtés du “renforcement de l’attractivité des métiers scientifiques” et de la “simplification du service public de la recherche et de l’enseignement supérieur”. Seulement, le compte n’y est pas. En effet, le gouvernement fait valoir l’ampleur de l’investissement et déclare qu’en 2030 le budget annuel sera rehaussé de 5 milliards d’euros. Mais cette trajectoire ne tient pas compte de l’inflation, en réalité la hausse ne représentera qu’un milliard d’euros actuels, et le budget qu’un quart de l’effort annoncé.
Les financements promis s'accompagnent en fait d’une volonté affichée de restructuration profonde de la recherche française, pour suivre un modèle libéral et mondialisé.
Les fonds proposés par la LPR seront en majorité versés à l’ANR. Or, l’ANR finance la recherche sur appels à projets. Cela permet à cet organisme d’avoir la main mise sur les sujets choisis aussi bien que sur l’accès aux ressources. Il semble probable que la recherche exploratoire sera éclipsée par la vitrine qu’offre une recherche appliquée et plus rentable. La stabilité économique des laboratoires en pâtira également et les chercheurs seront soumis au stress de devoir augmenter le temps, déjà trop important, alloué aux tâches administratives s’ils veulent voir leur travail financé.
Il est également proposé d’augmenter non pas les salaires mais les primes allouées aux chercheurs à succès, ce qui risque de contribuer à une atmosphère concurrentielle entre les laboratoires.
Vers une ubérisation d’un service public
Actuellement le parcours pour accéder à un poste titulaire est semé de CDD sans la garantie d’une carrière pérenne. Pour pallier la précarité des métiers de la recherche, la loi prévoit des CDI… de projet. Les CDI de projets sont des contrats à durée faussement indéterminée, puisqu’ils prennent fin lorsqu’un projet (généralement sur 3 à 5 ans) se termine. La réponse apportée à la précarisation est - sans cohérence - un emploi précaire !
Ensuite, la responsabilité du CNU (Conseil National des Universités) est réduite. Cet organisme est notamment garant de la qualification qui titularise les fonctionnaires, mais la loi ajoute une dérogation qui permettrait aux laboratoires et universités de recruter hors du cadre traditionnel du CNU.
Les étudiants et étudiantes qui aspirent à un parcours universitaire se demandent légitimement quel profil aura leur carrière. En effet, ces mesures encouragent une recherche “darwinienne” qui risque de valoriser les laboratoires friands de la maxime “publish or perish” (mesure de performance qui ne s’appuie que sur le nombre de publications), au détriment de la qualité. Le processus scientifique est long par essence, d’autant plus lorsqu’il est expérimental. En favorisant des résultats scientifiques rapides, la reproductibilité et la qualité de ceux-ci seront fatalement endommagées.
Délit d’entrave
C’est dans ce contexte qu’a été rajouté l’amendement du «délit d’entrave» voté au sénat. «Le fait de pénétrer ou de se maintenir dans l’enceinte d’un établissement d’enseignement supérieur sans y être habilité en vertu de dispositions législatives ou réglementaires ou y avoir été autorisé par les autorités compétentes, dans le but d’entraver la tenue d’un débat organisé dans les locaux de celui-ci, est puni d’un an d’emprisonnement et de 7 500 € d’amende.» Pire encore, si ces délits sont commis en groupe alors ces personnes risquent jusqu’à 42 000 euros d’amende et 3 ans d’emprisonnement. Or, un blocage réalisé par plusieurs personnes est probablement le fruit de l’organisation politique des étudiants. Cet amendement reste flou quant à la nature de l’entrave et peut donc s’appliquer aux luttes étudiantes. Le délit d’entrave est une extension d’une loi datant du quinquennat de Nicolas Sarkozy et s’appliquant aux établissements scolaires. Elle s’appliquera donc aussi aux établissements de l’enseignement supérieur. Jusqu’à présent les personnels et universités sont déjà protégés contre des violences ou des dégradations. Alors pourquoi un tel amendement si ce n’est pour prévenir les futures mobilisations étudiantes ?
L’avis des personnels de la recherche largement ignoré
La genèse de la LPR est présentée comme étant le résultat d’une discussion entre le ministère et la communauté universitaire. Cependant, quand les consultations en ligne et les trois groupes de travail présidés par Antoine Petit, président du CNRS, se sont mis en place en mars 2019, la loi était déjà dessinée. L’esprit de cette loi n’a guère bougé depuis. Alors que le gouvernement a accepté d’arrêter les délibérations sur la réforme des retraites le temps de la crise sanitaire, certaines procédures relatives à la LPR ont pu être poursuivies - malgré l’objection de plusieurs syndicats. Cette dernière est même soumise à la procédure accélérée et révisée par une commission mixte paritaire. En d’autres termes : la loi ne fait pas d’allers-retours entre l’Assemblée et le Sénat en vue de conduire à un texte final mais est révisée simplement par un groupe de sept députés et sept sénateurs.
Les organisations syndicales ont pourtant massivement rejeté cette loi. Nous pouvons également mentionner le collectif RogueESR. D’autres groupes qui sont moins connus pour leur prise de position politique ont également haussé leurs voix : sociétés savantes, laboratoires, instances scientifiques Le Comité national de la recherche scientifique (CoNRS) qui participe entre autres au recrutement et suivi des chercheurs du CNRS a même menacé de démissionner si la loi est adoptée en ces termes ! Les décisions sont donc prises sans et au détriment des principaux intéressés. Même le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a émis un rapport où il indique qu’il faudrait, à l’inverse de ce que propose cette loi, augmenter les fonds permanents alloués aux laboratoires pour favoriser la prise de risque et la créativité des scientifiques. Selon le CESE, cela est d’autant plus vrai que la crise actuelle montre la nécessité d’une recherche indépendante et possédant des moyens financiers et humains qui assurent son bon fonctionnement
Le 17 novembre, le personnel de la recherche était en grève dans tout le pays, en manifestation et perpétuait la semaine d’opération des « écrans noirs », suspendant le télétravail et les cours à distance. Quand seront-ils entendus ?
Malgré des mesures en apparence bienveillantes pour la recherche et une volonté affichée de revaloriser les carrières, les voix de la communauté universitaire s’élèvent - légitimement - pour critiquer des mesures aggravant des problèmes déjà existants dans la recherche en France. A une charge administrative élevée et des titularisations tardives, la LPR répond avec des propositions controversées qui favorisent une recherche empreinte de compétition. A cette déception s’ajoute la défiance engendrée par l’amendement du délit d’entrave et une procédure législative qui marginalise les principaux concernés du débat. L’horizon universitaire qui se profile semble compromis, mais la communauté reste soudée malgré des conditions sanitaires qui entravent les mobilisations.
Article paru dans Je Science donc J'écris n°24 - Janvier 2021