La santé, c’est un mot qui regroupe un large éventail de réalités différentes. Lorsque l’on se penche sur le concept de santé, on se rend compte que les normes de santé sont différentes selon les pays (par exemple une personne considérée médicalement en surpoids en France, ne le sera pas forcément aux Etats-Unis) et selon les individus (une personne en fauteuil roulant peut tout à fait se considérer en bonne santé tandis qu’une personne valide ayant un rhume peut se dire malade).
Alors qu’est-ce que la santé exactement ? A quoi cela correspond-il ?
La santé comme état biologique
Quand on pense à la santé, en général, cela nous renvoie à l’idée de maladie et donc de médecin. On a souvent tendance à voir la santé comme un état biologique, un fait avéré et mesurable scientifiquement. C’est la perspective biomédicale.
Pour mesurer l’état de santé d’une personne d’un point de vue biomédical, on se base sur l’écart à une norme. La norme (du latin norma, qui signifie équerre, règle) désigne un état répandu, majoritaire au sein d’une population et présenté comme un idéal à poursuivre (mais cet idéal peut varier selon les sociétés). Ainsi, on se base sur des statistiques et des moyennes pour juger de ce qui est normal, c’est-à-dire dans la moyenne, ou anormal, c’est-à-dire s’écartant de cette moyenne.

SPOILER ALERT, personne n’est totalement « normal » alors arrêtez de complexer sur votre œil qui louche, ventre qui déborde ou peau qui bourgeonne, on a tous des petits défauts et c’est aussi ce qui fait notre charme en tant qu’individus ;)
En effet, la moyenne est un concept mathématique qui ne correspond à aucun individu réel comme en atteste la création des statues Norma et Normman, basées sur les mensurations moyennes des Américains et auxquelles aucun individu ne correspondait totalement dans la réalité (et pourtant on a cherché !). Se baser sur une normale afin de construire les politiques en santé, revient donc à les baser sur un idéal, un individu sans existence réelle, mais qui représenterait l’ensemble d’une population. Malheureusement il s’agit d’un état factice et idéalisé, inatteignable en totalité.
La santé comme construit social
Une autre manière de concevoir la santé repose sur le construit social. Ainsi, la santé serait un état perçu par l’individu, par son entourage et par la société. Par exemple une personne peut se considérer en bonne santé tout en ayant une pathologie médicale. Lorsqu’on s’intéresse à la maladie, il faut donc distinguer la maladie diagnostiquée (disease), du trouble (disorder), de la maladie ressentie (illness) et de la maladie en tant que phénomène social (sickness). Les termes anglais sont ici bien plus précis que le terme français de « maladie ».
Il y a également un « rôle » social associé à notre état de santé, c’est pourquoi on attendra généralement d’une personne considérée comme malade qu’elle soit un « bon malade », c’est-à-dire qu’elle se fasse soigner et entreprenne les démarches nécessaires afin de retrouver un état de santé considéré comme souhaitable. Cela explique la pression sociale exercée sur certaines personnes en situations de handicap pour agir sur leur état de santé, leurs déficiences bien que ce ne soit pas forcément leurs propres priorités.
La santé comme capacité à s’adapter : la pensée de Canguilhem
Georges Canguilhem, dans Le normal et le pathologique explique que la pathologie ne se déduit pas linéairement du normal. Alors que la maladie est un concept scientifique, la santé est un mot de tous les jours (vulgaire). Le normal et le pathologique ne sont pas transcendants, ils sont de l’ordre de l’expérientiel. Mais la conscience humaine n’est pas dans un monde à part, séparé des phénomènes naturels, les deux sont interreliés.
Pour lui, être sain, c’est être capable de s’adapter de manière active en instituant de nouvelles normes, et donc faire preuve de ce qu’il appelle une normativité. Ainsi, la santé est « une certaine capacité de surmonter des crises organiques pour instaurer un nouvel ordre physiologique différent de l’ancien ». La santé est donc la capacité à s’adapter au changement et à être capable de « fonctionner » malgré une pathologie biologique. Cela explique qu’une personne handicapée puisse être en santé malgré une pathologie existante.
Et en pratique ?
Le fait de concevoir la santé comme une donnée mathématique, quantitative, mesurable par des experts ayant la connaissance, ou alors comme une expérience vécue, qualitative, dépendant des personnes, a un impact sur la façon dont est conçu le rapport aux individus dans les pratiques et les politiques de santé. Ainsi, la place laissée à la participation des individus, leur droit à décider pour eux même, dépendra beaucoup de la perspective adoptée. C’est pourquoi les débats autour du concept de santé ont un impact réel et ne relèvent pas seulement de la discussion théorique.
En savoir plus
de Almeida-‐Filho, N. (2006). Modèles de la santé et de la maladie : Remarques préliminaires pour une théorie générale de la santé. Ruptures, revue transdisciplinaire en santé, 11(1), 122-146.
Canguilhem, G. (1966). Le normal et le pathologique.
Vornax, N., & Desgroseilliers, V. (2016). Santé communautaire et santé publique : Des différences profondes. In V. Desgroseilliers, N. Vornax, A. Guichard, & B. Roy, La santé communautaire en 4 actes : Repères, acteurs, démarches et défis (p. 9-23).
Article paru dans Je Science donc J'écris n°23 - Septembre 2020